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DES AUTOROUTES ÉNERGÉTIQUES HORS NORMES : GAZODUCS ET LIGNES ÉLECTRIQUES À TRÈS HAUTE TENSION

1946. L’État fonde deux grandes entreprises nationales qui rationalisent les besoins pour répondre aux impératifs industriels de l’après-guerre. Les Français consomment, la reconstruction du pays fournit de nombreux emplois. Les Trente Glorieuses (1945-1975) forment une période de croissance exceptionnelle. Plus tard, les baby-boomers alimenteront de nouveaux besoins. Cette expansion nourrit l’essor industriel des centres urbains. La demande de gaz et d’électricité s’amplifie sans cesse. Les circonstances de ces opérations d’aménagement du territoire de grande ampleur vont faire de Palleau le carrefour de flux gaziers et électriques. Nous nous intéresserons d’abord au transport électrique, puis à celui du gaz, avant d’examiner la situation stratégique de Palleau qui accueille une station de compression.

I – UN GRAND PROJET ÉNERGÉTIQUE : NAISSANCE D’ÉLECTRICITÉ DE FRANCE 

Les centrales hydroélectriques du Massif Central et des Alpes bâties dans la décennie 1930 et les houillères ont multiplié les liaisons de transport avec les centres urbains. Or, la fourniture de l’énergie électrique s’avère disparate : deux cents entreprises privées assurent la production, une centaine gère le transport et plus de mille font la distribution1. Leurs services et tarifs fluctuent selon la géographie ou les prestataires. En 1933, naît la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) à qui l’État accorde la concession du Rhône pour 99 ans. Ainsi, la construction sur le fleuve du barrage de Génissiat (Ain, près de Bellegarde-sur-Valserine) démarre dès 1937 pour alimenter Paris et Lyon, mais la guerre perturbera les travaux.

En 1945, la création d’un service public unique est à l’ordre du jour, conformément au programme économique du Conseil National de la Résistance qui veut nationaliser la production. Il faut d’abord redémarrer une économie exsangue. L’électrification, notamment rurale, a certes progressé (plus de 60  % des foyers sont raccordés, presque tous dans le Verdunois, mais avec des retards). Les besoins sont immenses pour satisfaire l’industrie et les foyers voulant toujours plus d’électricité. La pénurie ne s’achève qu’en 1948.

En 1946, l’État nationalise les sociétés de production, de distribution et de transport pour créer Électricité de France (EDF). Encouragée par le commissariat au plan, la nouvelle société publique engage un travail colossal mais nécessaire de standardisation et de construction des lignes et des centrales. L’objectif consiste à rebâtir le réseau endommagé durant la guerre tout en poursuivant la construction de centrales hydroélectriques et thermiques. De nouvelles liaisons renforcent le maillage du territoire d’avant guerre pour satisfaire ces besoins exponentiels, stimulés par les crédits américains du plan Marshall. Le résultat est spectaculaire. Entre 1947 et 1950, pas moins de 3 770 km de lignes nouvelles se dressent dans les campagnes à une époque où le respect de l’environnement ne préoccupe guère les aménageurs2. Néanmoins, pour compenser l’impact visuel, l’État verse une taxe annuelle procurant un revenu conséquent aux communes3.

Le réseau se densifie encore pour répondre à l’expansion économique qui s’installe à partir de la décennie 1950. Les modes de vie se transforment : les familles s’équipent en matériel électroménager tandis que les entreprises modernisent leur production. La demande est si importante que les centrales à charbon et hydroélectriques ne suffisent plus. À partir de 1963, qui voit la mise en service de la centrale de Chinon, la France amorce le virage du nucléaire. Le président Pompidou conforte ce programme en 1973-1974 pour réduire la dépendance énergétique du pays, au pétrole. Durant cette période, la consommation électrique poursuit toujours sa croissance. EDF répond à ces exigences en modernisant et en optimisant ses capacités de production. Palleau en est le témoin involontaire.

De véritables autoroutes électriques : les lignes Génissiat-Vielmoulin

Inauguré par le Président de la République Vincent Auriol le 1er août 1948, le barrage de Génissiat, sur le Rhône, illustre ce volontarisme d’État. L’ouvrage sera le plus gros centre de production électrique du pays et même d’Europe avant la mise en service des centrales nucléaires.

Dès 1945, EDF construit une puissante ligne de 225 kV à un seul circuit de 3 câbles pour alimenter la région parisienne et la ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille dont l’électrification est imminente. Elle relie ainsi les 412 km séparant Génissiat du poste de Villevaudé (Seine-et-Marne), dans l’Est parisien. Fort long, l’ouvrage nécessite des postes de coupure à Vielmoulin (Côte d’Or, Sombernon) et à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne). Il comprend environ 800 pylônes en treillis métalliques de type « nappe » d’environ 35 m de haut, distants de 300 à 500  m. La ligne traverse une partie du canton : Saint-Didier-en-Bresse, Ciel, Les Bordes, Bragny et Palleau où elle surplombe la prairie, tout en frôlant le bourg.

Dès 1953, une ligne à 2 circuits (6 câbles) de 225 kV, encore plus imposante par ses dimensions (pylônes « nappe » de 41 à 51,2 m ayant environ 30 m2 d’emprise au sol4) s’érige parallèlement au premier ouvrage jusqu’à Vielmoulin. Ensuite, son tracé rejoint le poste de Creney (Troyes) puis celui du Plessis-Gassot au nord de Paris (Val d’Oise, près de Roissy). Sur ces entrefaites, la recherche progresse et les ingénieurs mettent au point la très haute tension 400 kV pour transporter encore plus de courant sur de longues distances avec des pertes minimales. Dès mars 1954, EDF envisage d’adapter cette technologie inédite sur la nouvelle ligne Génissiat-Vielmoulin–Plessis-Gassot. Les travaux se font l’été 1957 avec mise en service en mars 1958 sur l’ouvrage qui ne comportera plus qu’un seul circuit (3 doubles câbles). Il s’agit de la première liaison de ce type en France. Ce système se multipliera plus tard pour acheminer l’électricité d’origine nucléaire.

En 1980, une ligne de 2 x 400 kV (6 câbles doubles) formée de pylônes dits beaubourg5, hauts de 43 à 50 m, en principe plus respectueux de l’environnement, se substitue à l’ouvrage de 225 kV aux capacités insuffisantes. Aujourd’hui, 11 supports traversent Palleau : 6 pour les lignes 1-2 et 5 pour la ligne 3.

II – NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT DU TRANSPORT GAZIER

Gaz De France (GDF) naît le 8 avril 1946 de la nationalisation de la majorité des compagnies6 alors que, après guerre, le pays s’attelle à sa reconstruction. Le transport du gaz se résume alors à quelques canalisations de courte distance pour la distribution des sous-produits de la houille des régions du Nord.

L’artère de l’Est construite en 1949 entre la Lorraine et la région parisienne constitue la première expérience de transport et de gestion gazière sur longue distance. Une conduite de 312 km permet, sous une pression de près de 60 bars, de transporter le gaz excédentaire produit par les cokeries lorraines.

À partir de 1958, le réseau gazier se développe en partant du gisement de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), découvert quelques années auparavant, vers les grandes agglomérations. Dans les années 1960, on construit des terminaux méthaniers sur les grandes façades maritimes françaises pour répondre aux besoins de la consommation. L’un d’eux fonctionne au Havre en 19657 pour la regazéification du gaz algérien livré sous forme liquide. Suivront ensuite les terminaux de Fos-Tonkin en 1972, de Montoir-de-Bretagne en 1980, de Fos-Cavaou en 2010 et de Dunkerque en 2017.

La construction de gazoducs depuis les ports méthaniers et le gisement de Lacq ainsi que les entrées terrestres du Nord et de l’Est de l’Europe dessinent jusqu’à nos jours la carte du réseau. Au carrefour de l’axe Sud-Ouest et de la dorsale Nord-Sud, Palleau joue un rôle stratégique dans le transport gazier français et européen depuis l’arrivée du gaz de Lacq en 1959 par l’artère du Charollais. Des conduites vitales pour l’alimentation se croisent ainsi à la station de compression de Palleau : les artères Bourgogne et Val de Saône.

L’arrivée du gaz de Lacq

La découverte du gisement de Lacq en 1951 marque un tournant dans l’approvisionnement et la distribution du gaz naturel français. Il offre une opportunité inattendue de développement alors que les besoins énergétiques sont immenses. Le réseau de gaz se développe en 3 branches depuis l’artère principale dite Guyenne vers les centres industriels de Nantes (artère de Vendée), de Paris (artère de Sologne), de Lyon (artère Centre-Est puis Beaujolais) et de Besançon (artère Centre-Est puis Charollais). L’artère du Charollais commence à Vindecy (près de Charolles) pour desservir Besançon via le bassin minier et Tavaux, siège de l’usine chimique Solvay, un grand consommateur de gaz.

En 1959, cette conduite d’un diamètre 200 mm pénètre à Palleau après avoir traversé La Loyère, Fragnes, Virey, Sassenay, Gergy, Allerey où un poste de coupure réglementaire est implanté avant de poursuivre sur Saint-Martin-en-Gâtinois. À Palleau, arrivant par le sud-ouest, le gazoduc coupe la Dheune puis le Meuzin avant de se diriger par les bois vers Labergement-lès-Seurre.

Plus tard, le poste d’Allerey servira de base pour l’alimentation de Beaune en 1965 et Dijon en 1972. Cette même année, pour satisfaire ces nouvelles consommations, la capacité de l’artère Charollais se double d’une seconde conduite d’un diamètre de 450 mm jusqu‘à Allerey8.

Palleau sur « L’étoile de L‘Est » : l’arrivée du gaz russe

Les achats extérieurs et la production intérieure s’équilibrent en 19729. Les besoins industriels et domestiques soutiennent la demande, surtout en région lyonnaise. Entre 1970 et 197810, la consommation française annuelle passe de 10 à 25 milliards de m³ environ. Pendant ce temps, la production de charbon décroît (des puits ferment dont ceux de Blanzy-Montceau) tandis que le gisement de Lacq s’épuise.

En 1978, les principaux fournisseurs sont les Pays-Bas, l’Algérie et la Norvège. Recherchant d’autres approvisionnements, GDF signe deux nouveaux contrats avec la Russie11 et l’Iran12 et construit l’infrastructure nécessaire. Le gaz de l’Est traverse l’Autriche et l’Allemagne pour rejoindre son point de livraison à Obergailbach via Erching (Moselle) à la frontière française. Le réseau forme une étoile dite de l’Est, interconnectée avec les réseaux Centre-Est et Sud-Est existants :

  • artère Nord-Est : Obergailbach (Moselle) – Voisines ;

  • artère de Seine : Voisines (Haute-Marne) – région parisienne ;

  • artère de l’Est lyonnais : Étrez (Ain) – région lyonnaise.

En même temps, GDF bâtit l’étoile de l’Ouest raccordant le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne à la région parisienne et au site de stockage souterrain de Chémery/Soings-en-Sologne.

Le tronçon Voisines-Étrez, dit Artère de Bourgogne, participe au remplissage des centres de stockage souterrain d’Étrez et de Tersanne (Drôme) en été. En hiver, l’artère complète l’alimentation des régions lyonnaises et sud-est en passant par Allerey. La pose se scinde en deux sections : Étrez-Allerey en 1979 et Allerey- Voisines en 1978. Cette dernière canalisation d’un diamètre de 800 mm mesure environ 114 km de longueur et peut transporter le gaz sous une pression de 67,7 bars. 5 postes de sectionnements intermédiaires réglementaires, distants d’une vingtaine de kilomètres chacun, jalonnent le parcours à Leuchey (Haute-Marne), Selongey, Beire-le-Châtel, Izier, Magny-lès-Aubigny (Côte-d’Or) et Palleau. L’aspect réglementaire et obligatoire explique la proximité du poste de Palleau avec celui d’Allerey. Déjà, GDF projette l’implantation d’une station de compression sur ce point.

Des conventions de servitudes à obtenir

Avant le début des travaux, GDF doit résoudre un problème crucial : obtenir l’autorisation des propriétaires concernés par le passage du gazoduc. Le tracé doit rester libre en cas d’intervention13, impliquant la signature de servitudes d’utilité publique. Ainsi, les propriétaires s’engagent à ne pas planter de végétaux dont les racines dépassent 0,80 m, d’arbres supérieurs à 2,70 m sur une bande de 10 m autour de la canalisation. La culture de la vigne ou la construction d’un mur (dont la hauteur ou la profondeur n’excède pas 0,4 m) restent possibles.

En contrepartie, GDF reçoit l’autorisation d’établir une canalisation enfouie à 1,50 m, selon les tracés réglementaires. GDF s’engage à remettre en état les parcelles à l’issue des travaux et à poser les bornes de repérage en limite des terres.

Le contrat prévoit des indemnisations de compensation aux propriétaires et aux exploitants pour la perte des récoltes pendant les travaux. Enfin, GDF attire l’attention des communes sur les éventuelles dégradations des drainages agricoles lors des travaux.

Les travaux commencent

En avril 1978, le chantier commence dans le sens Sud-Nord14 (Allerey-Voisines). Le travail est confié à une entreprise spécialisée, la Société Parisienne de Canalisation (SPAC). Le projet se déroule selon les phases prévues : balisage du tracé, état des lieux avec les exploitants agricoles, bardage puis soudures des tubes, mise en fouille, remblaiement et remise en état, épreuves sur le gazoduc et enfin état des lieux.

En février 1979, le maire déplore la dégradation du chemin communal n° 3 entre la départementale 171 et le futur site de la station. Le trafic des camions explique les dégâts. Ainsi alertée, GDF s’engage à entretenir le chemin pendant les travaux et à le remettre en état après.

Début 1979, les propriétaires signent les attestations de remise en état des lieux, preuve de l’achèvement des travaux mais, GDF recherche déjà à accroître la capacité de son réseau.

III – LA STATION DE COMPRESSION DE PALLEAU

En 1995, l’État qui cherche toujours à diversifier ses approvisionnements, signe un contrat avec la Norvège pour construire et exploiter un gazoduc entre les deux pays. L’ouvrage sous-marin dénommé NorFra, le plus long du monde au moment de sa mise en service (840 km), transporte le gaz jusqu’au terminal de réception de Dunkerque15 puis au centre de stockage de Gournay-sur-Aronde (Oise). Ce nouveau gazoduc, inauguré en 1998 par le Premier Ministre Lionel Jospin et son homologue norvégien, renforce le rôle de la France, plaque tournante européenne du transport du gaz.

Avec l’accroissement des consommations du Sud-Est du pays et du transit vers l’Espagne, il devient indispensable d’élever la capacité de transport sur l’axe Nord-Sud concomitante avec la fin prochaine de l’exploitation à Lacq. Vers 1996, GDF décide de construire une station de compression de Palleau. Le site, non inondable, se situe idéalement à mi-chemin entre les stations existantes de Voisines et d’Étrez (moins de 100 km). De plus, le site choisi, isolé, près de la forêt domaniale, a l’avantage de préserver les habitants des nuisances éventuelles (visuelles ou sonores). L’éclairage intégral de nuit, prévu à l’origine, est également réduit au strict nécessaire.

La station, mise en service en 1998, comprime du gaz venu du Nord ou du Sud avec 2 turbocompresseurs de 10 MW chacun et 1 turbocompresseur de 5 MW pour une production maximale de 1,33 million de m³ par heure. Le site est surveillé et commandé depuis Paris même si l’entretien du matériel et les circonstances liées au plan Vigipirate nécessitent souvent du personnel sur place. Afin de rassurer la population, GDF organise deux visites du site les 18 mai et le 22 septembre 1998.

En 2001, l’installation est complétée par la liaison Palleau-Allerey. Cette conduite d’un diamètre de 500 mm, qui jouxte l’artère Bourgogne, réalise l’interconnexion entre l’axe Nord-Sud et l’artère du Charollais à Allerey. Désormais, GDF peut comprimer et transporter le gaz d’Étrez ou de Voisines vers le Sud-Ouest de la France.

Un accident sur le chantier

Les accidents restent rares sur ce type de chantier où toutes les précautions sont prises. Néanmoins, un incident s’est produit dans la station en construction comme le relate le Journal de Saône-et-Loire du 21 juillet 1998 :

Chalon – Hier matin vers 10 h 30 à la station du service de la production de Gaz De France à Palleau, un système de protection incendie fonctionnant au dioxyde de carbone (…) s’est déclenché de manière intempestive et a laissé échapper un volume important de gaz, ce qui a provoqué des troubles respiratoires pour 16 personnes travaillant sur le chantier de ce site en construction.

Une équipe de trois personnes se trouvant dans une fosse a été la première à subir les émanations de ce gaz répandu dans l’air. Un homme bloqué dans la fosse, n’a pu remonter, un autre a essayé de quitter les lieux par une échelle mais s’est évanoui, sans doute pris par l’intensité du gaz. Il s’est sérieusement blessé en retombant dans le trou. Cette personne est toujours en examen à l’hôpital à Chalon.

13 autres personnes ont été intoxiquées en essayant de secourir leurs collègues bloqués dans la fosse. Les pompiers de Verdun, de Chalon et le SAMU 71 sont intervenus sur les lieux et les 16 personnes ont été transportées vers les hôpitaux de Beaune et Chalon pour des examens préventifs.

L’accident s’est produit sur le chantier en construction d’une station de compression de gaz de Palleau, près de cette canalisation énorme qu’on appelle communément « l’autoroute du gaz français (…) ».

L’impact paysager

Un tel équipement gazier doit être parfaitement stable. GDF prévoit un terrassement de grande ampleur avant de construire la station. Les importantes quantités de terre extraites du site servent à rehausser les chemins communaux ou sont acheminées chez des agriculteurs. Durant l’été 2017, la commune saisit cette opportunité pour rehausser le parking de la mairie et combler la mare de la Croix-Leuret.

Le renforcement nord-sud passe par Palleau

En octobre 2017, la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE)16 délibère sur la création d’une zone de marché unique du gaz en France au 1er novembre 2018. Depuis 2003, plusieurs étapes ont permis la fusion des zones tarifaires qui passent de 7 en 2003, à 5 en 2005 et à 3 en 2009. La CRE cherche à instaurer un prix unique, stabiliser le marché français et améliorer l’accès aux différentes sources d’approvisionnement. Depuis l’épuisement puis la fermeture du gisement de Lacq en 2013 et la baisse des importations de gaz algérien après 2000, les principaux fournisseurs restent les pays du nord de l’Europe. Selon le bilan énergétique 201517, la Norvège représente désormais 42,2% des importations, suivie de la Russie (11,4 %) et des Pays-Bas (10,7 %). L’Algérie représente moins de 10 % du total.

Pour y parvenir, deux programmes d’investissement sur le réseau ont été retenus : le Renforcement Gascogne-Midi (RGM) qui comprend la construction d’une canalisation de 61,8 km et de diamètre de 900 mm entre Lussagnet (Landes) et Barran (Gers) ainsi que le renforcement de la station de compression de Barbaira (Aude). Ce projet est placé sous la responsabilité de TIGF18, gestionnaire du réseau dans le Sud-Ouest de la France. Le second programme, « Val de Saône », vise à densifier la dorsale gazière entre Dunkerque et Fos-sur-Mer pour favoriser la distribution entre le nord et le sud de la France. Il comprend le doublement de l’artère Bourgogne entre Voisines et Étrez grâce à un gazoduc d’un diamètre de 1 200 mm sur 187 km, l’aménagement de trois stations d’interconnexion à Étrez (Ain), Palleau et Voisines (Haute-Marne) et le renforcement de la station de compression d’Étrez.

En novembre 2014, GFTgaz obtient le permis de construire un bâtiment de contrôle d’une superficie de 47 m², une zone d’interconnexion et des voies de circulation à la station de Palleau. Quant au gazoduc, d’autres études préalables restent à mener avant de commencer les travaux.

Diagnostics et fouilles archéologiques.

En juillet 2015, GRTgaz et l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) signent une convention visant à protéger le patrimoine archéologique enfoui sur le tracé du gazoduc. Cette signature marque le départ des fouilles préalables aux travaux.

Le diagnostic de l’INRAP met en évidence près de 40 sites intéressants sur la totalité du tracé. Les sites suivants sont étudiés sur la région :

  • Bragny (Le Pâquier des Écherons) : indices d’une occupation préhistorique ;

  • Ciel (Le Petit Bas de Vau) : mise en évidence d’un dépotoir datant de l’Âge du Bronze ;

  • Saint-Didier (rue du Clouselot) : découverte de vestiges indiquant une occupation agricole allant de la conquête romaine jusqu’au XIVe siècle ;

  • Palleau (Le Cœur des Monts) : découverte de 2 enclos dont la datation reste incertaine et d’un grenier sur poteau attribué à la période laténienne. Peu de vestiges trouvés sur ce site, ce qui ne favorise pas la datation précise.

  • Palleau (tronçon B 10 allant de Glanon (21) à Bragny) : un parcellaire antique et un grand nombre de céramiques au lieudit La Croix Rouge. Un nombre important de céramiques et une armille19 au lieu-dit Les Bruchettes. Ces découvertes feront peut-être l’objet d’études ultérieures plus poussées.

L’INRAP et GRTgaz s’engagent à remettre en état les terrains comme l’indique « Le Palleautin » : « l’ensemble des parcelles qui seront traversées font l’objet d’un état des lieux consigné par huissier en vue de leur remise en état à la fin des travaux de mise en place des éléments du gazoduc20 ».

Enquêtes et travaux préalables

En 2015, une série de réunions est programmée dans le cadre de l’enquête publique21. Ce travail concerne l’ensemble des communes traversées. Les réactions de la population restent peu nombreuses à Palleau. Le passage du gazoduc n’inquiète guère. Comme l’indique Daniel Ratte, maire de Ciel, «  Il y a déjà un gazoduc qui traverse le village. Donc les habitants n’appréhendent pas. Tout s’était très bien passé la première fois  22». Le tracé pose parfois questions. Pour les habitants du lotissement de la route de Verdun à Palleau, l’écoulement de l’eau sera perturbé par la conduite de gaz qui se trouve à moins de 25 m des maisons. Une raison pour tenter de repousser le tracé à l’est. La doléance sera refusée.

Les agriculteurs restent les premiers concernés. Certains alertent GRTgaz sur l’endommagement éventuel des drainages même si l’entreprise les rassure en s’engageant à faire remettre les terrains en état. Un exploitant de Palleau souhaite que la canalisation soit enterrées avec une surprofondeur afin de poser un drainage ultérieurement. Un autre estime que les travaux de pose impacteront fortement l’exploitation des parcelles et demande donc la création de nouveaux points d’eau pour abreuver le bétail. Les désagréments liés à la circulation des poids lourds et engins de chantiers inquiètent. À Palleau, un état des lieux avant et après les travaux est prévu. GRTgaz s’engage à la remise en état des voiries au terme du chantier. À Saint-Martin-en-Gâtinois, le maire sollicite l’interdiction de passage des poids lourds car ce trafic endommagerait les routes. GRTgaz refuse au motif que l’interdiction ne porterait que sur les véhicules de l’entreprise. À Ciel, la commune obtient des mesures compensatoires : création d’un parc naturel au lieu-dit « La Bretonnière ». L’accord entre la mairie et GRTgaz prévoit la réalisation de mares, d’une prairie humide, de plantations d’arbustes et d’un parcours de santé23.

Les travaux commencent

Ce chantier gigantesque24 placé sous la responsabilité de GRTgaz comprend l’adaptation de la station de compression et la pose du gazoduc. À Palleau, l’aménagement des voies d’accès débute fin 2015 par un plan de circulation pour accroître la sécurité des entreprises intervenantes et des riverains (imposant le bitumage de chemins). Une considération prise au sérieux par le maire qui en informe la population (Le Palleautin n° 30, avril 2016) :

Travaux GRTgaz – Après avoir aménagé les chemins ruraux permettant l’accès au chantier de la station en toute sécurité, GRTGaz travaille actuellement sur l’espace de raccordement du futur gazoduc aux compresseurs de la station. Ce chantier durera environ deux ans. Je remercie l’ensemble des usagers des chemins ruraux pour le respect des règles de circulation, malgré quelques désagréments.

Les terrassements commencent en février 2016. Ils consistent à préparer les terrains pour les nouvelles installations et à construire des plateformes de stockage. De juillet 2016 au premier semestre 2017, les entreprises s’attellent aux activités de tuyauterie suivies des opérations de câblage et d’instrumentation. Environ 90 personnes opèrent sur le chantier pendant ce pic d’activité. Les entreprises implantent un nouveau poste de sectionnement sur l’artère Bourgogne puis préparent les raccordements du nouveau gazoduc avec les conduites existantes. GRTgaz prévoit la mise en route des nouvelles installations fin 2018.

La pose du gazoduc entamée en mars 2017 nécessite d’impressionnantes quantités de tubes venus d’Allemagne et de Turquie par voie maritime, fluviale, ferroviaire et routière vers les dépôts retenus par GRTgaz25. La plateforme du port de Chalon est préférée à d’autres propositions locales. C’est à partir de là que seront acheminés les tubes par convoi exceptionnel.

Sur le chantier, l’entreprise utilise des plats-bords. Ce sont des planches de bois sur lesquelles les engins peuvent rouler sans trop abîmer le sol. L’emprise du chantier se monte à 38 m. Les tubes déposés le long du tracé sont soudés les uns aux autres après avoir été cintrés si nécessaire afin d’épouser la forme du terrain. Chaque soudure doit être rigoureusement contrôlée avant d’être recouverte par un enrobage spécifique. L’assemblage de tous ces tubes peut mesurer jusqu’à 3 km. Ensuite, la terre est déposée couche par couche puis triée selon les consignes de la Chambre d’Agriculture pour former une tranchée. Une opération non exempte de complications quand l’eau afflue pendant les travaux comme à Labergement-lès-Seurre où des opérations de drainage perturbent les travaux.

Le tube assemblé est soulevé par des porte-tubes puis déposé au fond de la tranchée avant d’être recouvert par la terre mise de côté avant les travaux. Pour GRTgaz, il reste difficile d’éviter les effets négatifs sur les terrains mais tout est fait pour garantir la réversibilité des dégradations éventuelles.

Un impact positif sur l’économie locale

La construction du gazoduc génère d’importantes retombées économiques à commencer par le recrutement de main-d’œuvre. Si la pose d’une conduite nécessite du personnel hautement qualifié, le chantier a besoin d’un grand nombre de manutentionnaires non qualifiés. 70 à 100 personnes sont recrutées dès fin 2016. Les agences de recrutement s’appuient sur Pôle Emploi et programment des réunions d’informations sur les postes et la rémunération : le SMIC pour 44 h hebdomadaires. Les candidats se forment à la sécurité et à la mise en œuvre. Chaque ouvrier rejoint la base opérationnelle de Branges pour le tronçon situé en Saône-et-Loire avant d’être conduit sur son lieu de travail du jour26.

Les entreprises de travaux publics, de la construction, des transports, de l’hébergement et de la restauration bénéficient de la manne du gazoduc. À l’été 2016, six mois avant l’ouverture du chantier, les demandes de logement affluent près de Branges et de Palleau. 500 ouvriers et techniciens des entreprises sous-traitantes cherchent à se loger au moindre coût afin d’économiser la prime journalière de l’employeur. Ainsi, le camping de Bragny-sur-Saône reste ouvert au-delà de la période estivale moyennant quelques investissements (bornes électriques, accès, etc.) pour accueillir des ouvriers, venant souvent de l’étranger (Belgique, Pays-Bas). À Saint-Germain-du-Bois, deux semaines avant l’ouverture habituelle, 20 emplacements du camping sont occupés par les « gaziers »27. À Verdun, le restaurant Les Trois Maures fait le plein le midi en accueillant des responsables de GRTgaz.

Palleau, occupe donc une position stratégique dans le développement énergétique du pays. Après la guerre, la commune est traversée par la ligne électrique à haute tension du barrage de Génissiat, symbole des progrès industriels d’un pays en pleine reconstruction. Cette ligne, bientôt doublée, forme un axe structurant du réseau électrique entre les Alpes et Paris. Puis arrive l’expansion du réseau gazier à partir du gisement de Lacq. L’artère transportant cette nouvelle ressource coupe la commune avant de rejoindre Besançon. Plus tard, deux autres conduites passeront aussi par Palleau, confirmant sa position privilégiée. La station de compression complètera l’équipement à la fin des années 1990.

Aujourd’hui, les pylônes dominent le village contrairement au réseau gazier invisible. Seules les bornes jaunes témoignent de sa présence dans le sous-sol et la station nous rappelle que Palleau est l’un des points névralgiques du transport français de gaz. Ces autoroutes hors normes ont été décisives dans la transformation récente de la commune. Ironie du sort, le village attend 2001 pour être raccordé au réseau domestique de gaz naturel.

Lionel CANAC

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE:

BELTRAN, Alain et WILLIOT, Jean-Pierre. Les routes du gaz : Histoire du transport de gaz naturel en France. Paris, Le Cherche Midi, 2012, 304 p. BELTRAN, Alain. Gaz de France et le secteur gazier depuis 1940. In : Flux, n° 8, 1992. pp. 29-38.SEYER, Claude. L’évolution de la consommation et de la production des différentes sources d’énergie en France entre 1970 et 1980. In : Revue Géographique de l’Est, tome 20, n°1-2, janvier-juin 1980. Varia. pp. 43-64.

VEYRET-VERNER, Germaine. L’équipement électrique de la France, 1947-1950. Revue de géographie alpine, tome 39, n° 3, 1951, pp. 579-593.. Délibération n° 2017-246 de la Commission de régulation de l’énergie du 26 octobre 2017 relative à la création d’une zone de marché unique du gaz en France au 1er novembre 2018.

LABEAUNE, Régis. Rapport de diagnostic archéologique sur la future station d’interconnexion de GRTgaz, INRAP, décembre 2014.

CHEVRIER, Sébastien. Rapport de fouille archéologique, Palleau, le Cœur des Monts, INRAP, septembre 2015.

GAILLARD, Antony. Rapport de diagnostic archéologique sur le tronçon B10, INRAP, décembre 2015.

REMERCIEMENTS

GRTgaz (Agence Bourgogne) ; GMR Bourgogne (RTE)

NOTES

1 Site internet : www.edf.com . Dans notre secteur, la Société Électrique de la Grosne construit des lignes moyenne tension (St-Marcel/Allerey/Pouilly-sur-Saône) pour alimenter les bourgs et même une ligne haute tension à 150 kV entre Chalon et Besançon. On rencontre aussi de petits entrepreneurs (famille Ménétrier à Verdun).

2 VEYRET-VERNER, Germaine. L’équipement électrique de la France 1947-1950. Revue de géographie alpine, tome 39, n°3, 1951, pp. 579-593.

3 En 2018, la taxe afférente est de 4 730 € pour chaque pylône supportant une ligne électrique dont la tension est supérieure à 350 kV (http://bofip.impots.gouv.fr).

4 Plutôt massifs, ces pylônes en nappe sont délaissés dès 1960 pour les modèles « chats », moins voyants. À partir des années 1970, les nouvelles lignes 400 kV sont toutes à 2 circuits (6 doubles câbles) : d’abord de type « anjou » puis « beaubourg ».

5 Ce dernier ouvrage, a fait l’objet d’un concours national en 1977 pour répondre aux protestations environnementales. Réuni au centre Beaubourg, un jury a choisi ce nouveau support après examen d’une quinzaine de projets d’ « esthéticiens industriels », d’où son nom. Ce pylône est très répandu sur le réseau.

6 615 exploitations gazières sur 724 existantes en 1945 ont été nationalisées.

7 Fermeture en 1989.

8 C’est à cette occasion qu’Antonin Guillot, fouillera ce secteur proche de la voie romaine (voir GUILLOT, Antonin. La voie romaine Chalon-Langres (entre Chalon et Palleau). n°65/2005, pp. 1-20, Trois Rivières n° 65/1972).

9  SEYER, Claude, opus cité.

10 SEYER, Claude, opus cité.

11 Auparavant, le gaz russe était livré à la frontière franco-belge (Taisnières-sur-Hon) par voie d’échange avec d’autres pays européens.

12 Finalement, la chute du shah d’Iran en janvier 1979 compromettra cet accord.

13 L’explosion de la raffinerie de Feyzin, au sud de Lyon, le 4 janvier 1966 (4 morts et 88 blessés) a largement contribué au renforcement des mesures de sécurité.

14 Les travaux permettront de nouvelles prospections archéologiques (voir GUILLOT, Antonin. Trouvailles fortuites autour de la tranchée GDF et à Allerey. n° 15/1979, pp. 12-13).

15 Le terminal méthanier de Dunkerque destiné à la livraison de gaz liquéfié sera construit en 2017.

16 La CRE est l’autorité administrative indépendante chargée de veiller au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz en France.

17 Ministère de l’Environnement, Bilan énergétique de la France pour 2015 (www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr).

18 Transport Infrastructures Gaz France.

19 Bracelet formé de plusieurs anneaux.

20 Le Palleautin n° 31, janvier 2017.

21 Rapport de la commission d’enquête publique menée du 15 juin au 15 juillet 2015.

22 Plein gaz sur le Val de Saône, Le JSL édition de Chalon, 23 avril 2016.

23 Les travaux du parc naturel débuteront en septembre 2017, Le JSL édition de Chalon, 29 décembre 2016.

24 Coût total du programme « Val de Saône » : 700 M€ dont 520 pour la canalisation.

25 11 000 tubes de 17 m seront utilisés pour la totalité du parcours de l’Arc Val de Saône.

26 Gazoduc Val de Saône : du boulot dans les tuyaux, Le JSL édition de Louhans, 5 octobre 2016.

27 Le gazoduc : une opportunité pour l’économie locale, Le JSL édition de Chalon, 17 mai 2017.

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